TOLSTOÏ au cinéma ce soir sur la 7

Publié le par catlove

Tolstoï ne renonça jamais à l’art. Un grand artiste ne peut, même s’il le veut, abdiquer sa raison de vivre. Il peut, pour des causes religieuses, renoncer à publier ; il ne le peut, à écrire. Jamais Tolstoï n’interrompit sa création artistique. M. Paul Boyer, qui l’a vu à Iasnaïa Poliana, dans ces dernières années, dit qu’il menait de front les œuvres d’évangélisation ou de polémique et les œuvres d’imagination ; il se délassait des unes par les autres. Quand il avait terminé quelque traité social, quelque Appel aux Dirigeants ou aux Dirigés, il s’accordait le droit de reprendre une des belles histoires qu’il se contait à lui-même, — tel son Hadji-Mourad, une épopée militaire, qui chantait un épisode des guerres du Caucase et de la résistance des montagnards sous Schamyl[1]. L’art était resté son délassement, son plaisir. Mais il eût regardé comme une vanité d’en faire parade[2]. À part son Cycle de lectures pour tous les jours de l’année (1904-5)[3], où il rassembla les Pensées de divers écrivains sur la vérité et la vie — véritable Anthologie de la sagesse poétique du monde, depuis les Livres Saints d’Orient jusqu’aux artistes contemporains, — presque toutes ses œuvres proprement artistiques, à partir de 1900, sont restées manuscrites[4].

En revanche, il jetait hardiment, ardemment, ses écrits polémiques et mystiques dans la bataille sociale. De 1900 à 1910, elle absorbe le meilleur de ses forces. La Russie traversait une crise formidable, où l’empire des tsars parut un moment craquer sur ses bases et déjà près de s’effondrer. La 158 VIE DE TOLSTOÏ

guerre russo-japonaise, la débâcle qui suivit, l'agi- tation révolutionnaire, les mutineries de l'armée et de la flotte, les massacres, les troubles agraires semblaient marquer c la fin d'un monde », — comme dit le titre d'un ouvrage de Tolstoï. — Le sommet de la crise fut atteint entre 1904 et 1905. Tolstoï publia, dans ces années, une série d* œuvres retentissantes : Guerre et Révolution^ ^le Grand Crime^ la Fin (Tun J/onde.^Durant cette der- nière période de dix ans, il occupe une situation unique, non seulement en Russie, mais dans l'uni- vers. Il est seul, étranger à tous les partis, à toutes les patries, rejeté de son Eglise qui Ta excommu- nié'. La logique de sa raison, l'intransigeance de sa foi, l'ont € acculé à ce dilemme : se séparer des autres hommes, ou de la vérité. » Il s'est souvenu du dicton russe : c Un vieux qui ment, c'est un riche qui vole » ; et il s'est séparé des hommes, pour dire la vérité. Il la dit tout entière à tous. Le vieux chasseur de mensonges continue de traquer infatigablement toutes les superstitions religieuses ou sociales, tous les fétiches. Il n'en a pas seule-

1. Le titre russe de cette œuvre est : Une seule chose est nécessaire (Saint-Luc, XI, 41.)

2. La plupart ont été, de son vivant, gravement mutilées par la censure, ou totalement interdites. L'œuvre circulait en Russie, jusqu'à la, Révolution, sous la forme de copies manuscrites, cachées sous le manteau. Même aujourd'hui, il s'en faut que tout soit publié; et la censure bolchevike n'a pas moins été tyrannique que la censure tsariste.

3. L'excommunication de Tolstoï par le Sainte-Synode est du 22 février 1901. 

 aux anciens pouvoirs malfaisants, à l'Église persécutrice, à l'autocratie tsarienne. Peut-être même s'apaise-t-il un peu à leur égard, maintenant que tout le monde leur jette la pierre. On les connaît, elles ne sont plus si redoutables ! Et après tout, elles font leur métier» elles ne trompent pas. La lettre de Tolstoï au tsar Nicolas 11^ est, dans sa vérité sans ménagements pour le sou- verain, pleine de douceur pour l'homme, qu'il appelle son c cher frère », qu'il prie de c lui pardonner s*il l'a chagriné sans le vouloir » ; et il signe : c Votre frère qui vous souhaite le véritable bonheur ».

Mais ce que Tolstoï pardonne le moins, ce qu'il dénonce avec virulence, ce sont les nouveaux mensonges, car les anciens sont percés à jour. Ce n'est pas le despotisme, c'est l'illusion de la liberté. Et l'on ne sait ce qu'il hait le plus, parmi les sectateurs de nouvelles idoles, des socialistes ou des « libéraux t^.

Il avait pour les libéraux une antipathie de longue date. Tout de suite, il l'avait ressentie, quand, officier de Sébastopol, il s'était trouvé dans le cénacle des gens de lettres de Pétersbourg. C'avait été une des causes de son malentendu avec Tourgueniev. L'aristocrate orgueilleux, l'homme d'antique race, ne pouvait supporter ces intellec- tuels et leur prétention de faire, bon gré, mal gré, le bonheur de la nation, en lui imposant 

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